Un point de vue juif sur les Chrétiens Évangéliques – Isi Leibler

ISI LEIBLER – The Jerusalem Post, 17 août 2009
Traduit et adapté par Danielle Elinor Guez



Un important dirigeant de la Communauté juive américaine m’a dit récemment que la «standing ovation» passionnée qu’il a reçue après s’être adressé à 4.000 participants du congrès des «Chrétiens Unis pour Israël» du Pasteur John Hagee[1] à Washington, lui rappelait les rassemblements sionistes fervents auxquels il avait assisté quand il était jeune. Ce rassemblement de Chrétiens évangéliques de deux jours avait pour objectifs d’exprimer son soutien à Israël, de recevoir les dernières informations sur les défis auxquels est confronté l’Etat juif et de faire pression sur les membres du Congrès pour qu’ils soutiennent Israël. Les participants ont pu écouter les discours retransmis par satellite du Premier Ministre Binyamin Nétanyahou, du Sénateur Joe Lieberman, de l’Ambassadeur d’Israël Michael Oren, de Malcolm Hoenlein de la Conférence des Présidents et d’autres encore. Au moment où l’opinion publique mondiale juge Israël à travers le miroir déformant des diffamations arabes et antisémites, des millions d’Évangéliques sont devenus nos plus dévoués partisans.

L’évolution de cette relation est extraordinaire et défie toute logique. C’est seulement au cours des trois dernières décennies que le soutien à Israël a pris une telle ampleur parmi ce courant chrétien, qui est en plein développement tandis que les autres Églises accusent un dramatique déclin.


Jusqu’à récemment, la plupart des Juifs considéraient les Chrétiens évangéliques comme des zélotes obsédés par le désir de faire du prosélytisme. Ils pensaient aussi que leurs sentiments philosémites n’étaient pas sincères car basés sur une eschatologie qui prédit que la seconde venue du Messie n’adviendra que lorsque le Peuple juif sera retourné en Israël, provoquant la fin des temps.

En outre, la Communauté juive américaine à prédominance libérale, obsédée par la séparation de l’Église et de l’État, par les droits des homosexuels et par le droit à l’avortement, considèrent les Évangéliques comme de dangereux extrémistes d’extrême droite et jusqu’à récemment, se plaignait de se sentir très embarrassée quand des hommes politiques comme Netanyahu, faisaient des discours lors de leurs rassemblements.


Pourtant malgré cette hostilité, les Évangéliques ont accru leur soutien à Israël à tel point que c’est aujourd’hui une caractéristique fondamentale de leur vision du monde. Comme si la Providence divine était intervenue, le changement s’est opéré précisément quand les libéraux, les défenseurs traditionnels des juifs, se sont engouffrés dans le postmodernisme et ont commencé à s’opposer à Israël, qui n’apparaissait plus comme une victime. Hélas, aujourd’hui, de nombreux libéraux sont engagés dans des campagnes de démonisation et de délégitimation de l’État juif.


Le soutien des Évangéliques à Israël n’a nulle commune mesure avec celui des autres Confessions chrétiennes. Beaucoup d’Églises protestantes ont en effet transformé leur antipathie envers Israël, en haine. L’Église catholique a fait d’énormes progrès en condamnant l’antisémitisme, mais à cause d’une combinaison de realpolitik et de la réticence à avaler cette amère pilule théologique, à savoir la reconnaissance d’un État juif, elle est encore loin d’être équitable dans son rapport au conflit israélo-arabe.

En vérité les Évangéliques ne représentent pas plus que les Juifs un courant monolithique. Ils incluent des groupes marginaux fanatiques, croyant à la fin apocalyptique du Peuple juif, des missionnaires et même des antisémites. Mais la vaste majorité des Évangéliques sont des personnes craignant Dieu qui prient pour le bien-être d’Israël et partagent un amour inconditionnel pour les Juifs en qui ils voient le peuple choisi par Dieu.

La raison principale du soutien évangélique, c’est que contrairement aux autres groupes chrétiens, ils rejettent la théologie de la substitution qui enseigne que Dieu a abandonné les Juifs parce qu’ils ont rejeté Jésus. Ils respectent le judaïsme comme l’origine du christianisme et croient que les Juifs resteront toujours le peuple choisi par D.ieu. Ils croient que la revendication juive sur la terre d’Israël repose sur la promesse biblique de D.ieu. Cela peut embarrasser les Juifs laïcs, mais pour les Juifs traditionnels, c’est bien l’origine de leur relation avec la Terre Sainte.

Les Évangéliques croient également que lorsque Di.eu a dit à Abraham que ceux qui bénissent « les enfants d’Israël » seront à leur tour bénis (Genèse 12:3) cela signifie que D.ieu bénirait les Chrétiens qui aiment le Peuple juif et soutiennent l’État d’Israël. Ils croient également que le rassemblement des Juifs précédera le retour du Messie, et citent Isaïe 60:14 : « Les enfants de vos oppresseurs viendront s’incliner devant vous » comme la prophétie annonçant que les Justes parmi les Gentils participeront à ce processus.

Lord Balfour à Tel Aviv

Ces sentiments ont nourri les Sionistes chrétiens du début du XIXe siècle et ultérieurement des gens motivés comme Lord Balfour[2], auteur de la déclaration Balfour, Orde Wingate, qui aida à créer la Hagana, le Révérend John Stanley Grauel, le héros à bord de l’Exodus qui a divulgué ce qui s’était passé dans un rapport de première main qui a eu un impact crucial sur la Commission Spéciale de l’ONU sur la Palestine, des écrivains comme Pierre van Paassen qui aidèrent à promouvoir la cause sioniste et bien d’autres.


Le soutien évangélique pour l’État juif se manifeste aujourd’hui principalement par la défense d’Israël. Toutefois ils précisent que jamais publiquement « ils n’exerceront de pression ou ne s’opposeront aux politiques adoptées par le Gouvernement d’Israël démocratiquement élu ». Le poids politique des Évangéliques dans l’Administration Démocrate est considérablement plus faible qu’il ne l’était sous la présidence de George W. Bush. Néanmoins avec plus de 60 millions d’adhérents, ils continuent à représenter une des forces politiques les plus puissantes aux États-Unis. Ils ont récemment formé l’équivalent chrétien de l‘AIPAC pour faire pression sur les membres du congrès et empêcher l’approbation d’une législation hostile à Israël.


Beaucoup de fidèles de base des Églises évangéliques font des dons généreux destinés aux projets conçus pour renforcer Israël. Par exemple, « l’Amitié Internationale entre Chrétiens et Juifs » fondé par le rabbin Yechiel Eckstein, représente aujourd’hui le plus grand donateur unique de l’Agence Juive et figurait parmi les premiers contributeurs du projet Nefesh B’Nefesh. Les 50 représentants de l’Ambassade Chrétienne Internationale de Jérusalem (ICEJ), qui a des filiales dans 80 pays, sont le fer de lance de la noble présence des Chrétiens sionistes en Terre promise. Ils publient et diffusent des informations sur Israël dans le monde entier. Grâce aux contributions généreuses de leurs membres, ils financent des programmes sociaux importants notamment une assistance pour aider à l’intégration des nouveaux immigrants et un soutien aux anciens résidents du Goush Katif. Ils concourent de manière active à promouvoir des missions en Israël et accueillent de grands groupes de pèlerins. Ils représentent désormais une des sources les plus dynamiques du tourisme israélien.


Bien que la plupart des Israéliens et des Juifs apprécient désormais la valeur considérable du soutien évangélique, quelques Juifs libéraux continuent à critiquer cette relation et les Juifs orthodoxes mal informés persistent dans leurs perceptions erronées faisant de tous les Évangéliques des missionnaires. Bien évidemment notre théologie diffère de celle des Évangéliques, mais une alliance basée sur des objectifs spécifiques n’oblige pas les deux parties à adopter les mêmes positions sur des questions plus vastes.

Sur les questions concernant Israël, une coopération pragmatique n’est pas une question de credo mais de bon sens politique. En plus, le soutien des Évangéliques n’est pas conditionné par une quelconque contrepartie. Il est très inconvenant pour nous de rester passifs face à des Juifs très mal informés qui se comportent d’une manière si grossière à l’égard de nos plus grands partisans.


À un niveau personnel, je suis fier d’être associé aux Évangéliques sur divers projets pour promouvoir Israël. J’aime aussi pouvoir discuter de questions politiques avec des gens qui reconnaissent encore l’existence du bien et du mal, au lieu de discuter de manière abêtissante avec des libéraux à l’esprit confus, de leurs sujets de prédilection que sont le postmodernisme ou l’équivalence morale.

L’alliance avec les Évangéliques représente une des rares lumières éclatantes dans un environnement politique lugubre. En effet s’il y avait plus d’ Évangéliques dans l’Europe protestante et catholique, l’hostilité contre Israël qui prédomine dans cette région pourrait diminuer considérablement.


En tant que juif pratiquant, j’apprécie leur soutien et j’espère que cette amitié sera pour eux une source de bénédictions.




[1] voir le site Christians United for Israel
[2] photo : Lord Balfour à Tel-Aviv




Print Friendly, PDF & Email