Maman, suis-je juif ?…

7 mars 2013
Pasteur Gérald Fruhinsholz


Yaakov Weksler a été un enfant caché juif. En Pologne, il s’appelait Romek Waszkinel. Selon lui, il existe plus de 700 personnes en Pologne qui ne connaissent même pas l’identité de leurs vrais parents. Certains bébés ont été passés par les égouts, notamment à Varsovie.

Yaakov (lire son histoire) a eu cette « chance » de savoir (tardivement) qu’il était juif, né en 1943. Il a su qu’il avait un oncle et une tante à Netanya. Il saura également en 2012 qu’il a des cousins du côté de sa mère. En Israël, il a ainsi pu découvrir sa vraie famille, sans pour autant renier ses parents qui l’ont sauvé.

Comme il dit : « Une famille m’a donné la vie, et une autre famille a sauvé ma vie ». Cela a été le cas pour de nombreux enfants juifs cachés.


Lorsqu’il est arrivé à l’aéroport Ben Gourion en 1992, Yaakov n’avait pas envoyé sa photo à son oncle. Car Yaakov était devenu prêtre et toutes ses portraits le montraient avec un col ecclésiastique. Or, il savait que son oncle Zvi était assez religieux, et il ne voulait pas le fâcher. Mais lors de la sortie à l’aéroport, il croisa Zvi Weksel, et celui-ci le reconnut immédiatement.

– Comment m’as-tu reconnu ? lui a demandé Yaakov.
– Aucun problème, tu as la même démarche que ton père !

Yaakov avait 49 ans. Quelle joie de connaître à la fois sa vraie identité, et l’existence de membres de sa famille, après tant de doutes et de questionnement ! Yaakov n’avait su l’histoire des Juifs assassinés dans les camps de la mort qu’en 1968 ! Le régime communiste n’avait pas pris la peine de mentionner ces « détails » dans les livres d’histoire.


Les Einsatzgruppen

Les Einsatzgruppen (groupes d’intervention) étaient des unités de police politique militarisées du IIIe Reich, créées dès l’Anschluss et chargées, à partir de l’invasion de la Pologne, de l’assassinat systématique des opposants réels ou imaginaires au régime nazi et en particulier des Juifs.

De 1940 à 1943, les Einsatzgruppen assassinèrent plus d’un million de personnes, essentiellement des Juifs. Leur action fut la première phase de la Shoah, avec ce que l’on appelle la « Shoah par balles« , puis avec les camions à gaz itinérants. Quand les tueurs des Einsatzgruppen découvraient unshtetl, un village juif, tous leurs membres étaient systématiquement fusillés, sauf ceux qui pouvaient être utiles aux Allemands. Or, le père de Yaakov, Yankele Weksel, était connu comme un excellent tailleur.

Yaakov est né en 1943. Dès le début des hostilités, comprenant le danger, Batya sa maman biologique, connaissant une famille chrétienne, confia son fils à cette maman, lui disant : « Sauvez ce bébé juif, au nom de votre Jésus juif ». Elle ajouta ceci : « Il deviendra prêtre… ».

Sans le savoir, Yaakov accomplit cette prédiction et fut ordonné prêtre en 1966, à Lublin. Il étudia également la philosophie. Il ne découvrit l’existence dela Shoah qu’en 1968… et s’interrogea sur sa naissance et sa véritable identité. C’est à cette époque, où voyant sa mère pleurer à l’évocation de la guerre, qu’il demanda :« Maman, suis-je juif ? ». En fait, dès son plus jeune âge, on traitait le petit Romek de :« sale youpin, bâtard juif », et même adulte, dans sa propre paroisse, on l’appelait le« youpin ». 

Une deuxième naissance !

C’est en février 1978 que Yaakov découvrit sa véritable identité, par la bouche de sa mère qui jusqu’alors, refusait d’évoquer cette période sombre : « Tu as eu des parents juifs. Ils ont été assassinés ». 

En 2009, Yaakov a passé une année au kibboutz Sdé Eliyahou, un kibboutz religieux près de Beit Shean. Aujourd’hui, Yaakov travaille à Yad Vashem, le Musée de la Shoah de Jérusalem, comme archiviste. Et avec ALOUMIM, l’association israélienne des enfants juifs cachés, il fait le lien avec tous les enfants cachés de Pologne.

Mystérieusement, Yaakov n’a pu bénéficier de la Loi du retour en Israël, et n’a qu’un visa de « Résident ». Il supporte difficilement cette situation qui est le lot de nombreux enfants cachés. Comme il dit : « En Pologne, j’ai souffert d’être juif, et en Israël, on me reproche d’être un prêtre ». On lui demanda une fois : « Souhaitez-vous avoir une croix ou une magen David sur votre tombe ? », Yaakov répondra : « Laissez-moi vivre ma vie pour l’instant ! ».  

A la question « Regrettez-vous quelque chose ? », Yaakov dira : – Seulement d’avoir découvert trop tard ma véritable identité. Si je l’avais su 30 ans auparavant, je parlerais hébreu couramment ! Au lieu de cela, j’ai fait l’université et suivi ma vie ». Mais je suis content aujourd’hui d’être au niveau gimel à l’oulpan (école d’hébreu), et heureux d’être ici à ma vraie place, en Israël.

 Longue vie à Yaakov, qui a retrouvé ses racines


Les « enfants cachés »

La période d’après-guerre a été à la source de traumatismes pour de nombreux enfants juifs. En effet, soit les enfants apprenaient la nouvelle de l’assassinat de leurs parents, soit ils étaient confrontés à des retrouvailles dramatiques. Dans la plupart des cas, les parents survivants, rescapés de la Shoah, étaient profondément marqués par l’expérience concentrationnaire, voire brisés.

Les enfants juifs cachés ont également vécu de nouvelles séparations en quittant le milieu qui les avaient accueillis pendant la guerre. Ces nouvelles séparations ont souvent ravivé la souffrance vécue lors de la séparation des parents, conférant une signification traumatique aux séparations.

Après la guerre, les survivants ont tenté de se reconstruire en appréhendant l’avenir plutôt que de se tourner vers un passé trop douloureux. Jusque dans les années 1980, les enfants juifs cachés n’ont pas été reconnus comme survivants de la Shoah. Leurs voix étaient jusque-là absentes des grandes narrations du génocide. Ils étaient considérés comme ayant eu « de la chance » en comparaison des déportés et comme « trop jeunes » pour se souvenir du passé.

La plupart des enfants juifs cachés ont souvent tu leur histoire pendant près de 40 ans, voire 60 ans. Ce n’est qu’à partir de 1991, lors du premier grand rassemblement de nombreux anciens enfants juifs cachés à New York, que la plupart d’entre eux ont commencé à raconter leur histoire et qu’une réelle prise de conscience a eu lieu (d’après le rapport des « enfants cachés juifs en Belgique », d’Olivier Luminet)


« Une femme oublie-t-elle l’enfant qu’elle allaite ? N’a-t-elle pas pitié du fruit de ses entrailles ?
Quand elle l’oublierait, Moi, l’Eternel, Je ne t’oublierai pas »
Esaïe 49:15



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